Cependant, certains vignerons qui se sont engagés dans cette démarche de conversion vers la viticulture biodynamique sont parfois isolés, à la fois géographiquement et dans leur cheminement intellectuel.

Une prise de conscience de la nouvelle génération de vignerons ainsi qu’un élan de partage et de soutien vont accélérer le mouvement dans les années à venir.

Le Domaine de la Cabotte a pour particularité de former 45 ha d’un seul tenant, dont 30 ha de vignes, ce qui le rend tout à fait adapté à l’agriculture biodynamique.

En France, la biodynamie dans la viticulture a connu un réel essor grâce aux précurseurs tels que François Bouchet, Nicolas Joly, Pierre Masson ou encore Jacques Mell. François Bouchet avait même déjà commencé à travailler selon ces principes dès les années 60. Depuis une quinzaine d’années, forts du savoir et de l’expérience de ces défricheurs, de nombreux domaines viticoles ont été convertis en biodynamie, à la vigne comme au chai. Les résultats constatés sont tellement encourageants que le nombre de vignerons entreprenant la conversion est en constante progression depuis 5 ans. Cela ne représente aujourd’hui que 15% du vignoble en bio, soit moins de 1% du vignoble français. Mais une prise de conscience de la nouvelle génération de vignerons ainsi qu’un élan de partage et de soutien vont accélérer le mouvement dans les années à venir : en effet, selon Demeter France, la viticulture biodynamique est en progression de 15% par an sur les cinq dernières années.

Cependant, certains vignerons qui se sont engagés dans cette démarche de conversion vers la viticulture biodynamique sont parfois isolés, à la fois géographiquement et dans leur cheminement intellectuel. Pour beaucoup, ce choix est encore difficile à vivre au quotidien. Et au-delà de l’indispensable travail à la vigne, une réflexion doit être menée et il faut alors faire face aux critiques de son entourage professionnel et parfois familial pour mener à bien son projet de conversion. Il est donc essentiel de créer du lien entre biodynamistes pour informer et soutenir ces nouveaux venus.

Le partage de connaissances
pour guider et avancer ensemble

Aujourd’hui, les biodynamistes entreprennent des actions collectives pour aller au-delà des distances qui les séparent et créent de belles dynamiques participatives. A ce sujet, j’ai eu récemment l’occasion d’écouter une intervention d’Eric Plumet du Domaine de la Cabotte dans le Massif d’Uchaux lors du congrès viticole annuel du Mouvement pour l’Agriculture Biodynamique (MABD). Eric fait parti des acteurs de l’approche collective et son expérience en la matière est fort intéressante.

Pour introduire rapidement le domaine de la Cabotte, il a été repris en 1981 par la femme d’Eric, Marie-Pierre Plumet-D’Ardhuis. Il a pour particularité de former 45 ha d’un seul tenant, dont 30 ha de vignes, ce qui le rend tout à fait adapté à l’agriculture biodynamique car la biodiversité, les paysages et les reliefs y sont préservés, à l’abri des pollutions extérieures.

Eric s’est intéressé à la biodynamie dès les années 90 et le domaine a débuté les premières expérimentations en 2006 sur certaines parcelles passées en bio au préalable – ce qui reste une condition pour l’obtention de la certification Demeter ou Biodyvin. Il est essentiel d’être guidé lors de la conversion où le conseil est particulièrement important pour avancer sereinement dans une discipline sensible en dehors de tout carcan scientifique.

Eric s’était alors rapproché de Jacques Mell, conseiller technique et grand promoteur de la biodynamie qui arpente les vignobles de France et d’Italie depuis plus de 30 ans, et également connu pour avoir suivi Francis Boulard en Champagne lors de la conversion du domaine au début des années 2000.

Puis en 2007, le domaine passa en biodynamie sur la totalité de sa superficie. Dans le Vaucluse, peu de propriétés viticoles étaient alors converties à cette agriculture. La biodynamie souffraient d’un déficit de notoriété et il était encore difficile d’échanger sur le sujet. Eric souhaitait pourtant rencontrer d’autres vignerons engagés dans cette démarche et échanger sur leurs pratiques.

Le format associatif pour soutenir
cette dynamique

En 2010, il créa avec 5 autres vignerons des Côtes-du-Rhône, l’association Les Bio-Dyn Dingues Donc afin de mettre en commun des données pratiques et techniques sur leurs expériences de biodynamistes mais aussi passer des moments chaleureux et animés dans les vignes ! Depuis 2010, l’association a fait du chemin et regroupe aujourd’hui 12 vignerons de plusieurs appellations viticoles du Rhône et Sud-Est. Dans leurs régions respectives, ces vignerons se font le relais de l’association, permettant de faire circuler l’information auprès des viticulteurs locaux. Au-delà du souhait d’informer et de démystifier la biodynamie auprès des professionnels et des amoureux du vin, ces vignerons participent également à des salons en commun et organisent des événements collectifs autour de la découverte de leur vins.

Depuis plusieurs années, Eric Plumet a aussi commencé à travailler sur les préparations en biodynamie et à enterrer des cornes de bouse de vache chaque automne avec son voisin Arnaud Guichard du Domaine de la Guicharde. Dès le départ, ce fut l’occasion de passer un bon moment entre vignerons en enterrant environ 150 cornes dans la journée pour la saison suivante. Puis au fil des années, un nombre croissant de vignerons s’intéressa à cette démarche, et ils se retrouvèrent rapidement 15 à 20 vignerons à participer à ces journées de préparations. Le besoin d’être de nouveau accompagné pour assurer des résultats à tous ces nouveaux venus se fit de nouveau sentir pour Eric. Il pris contact avec le MABD qui propose les services de formateurs dispensant des cours sur différentes thématiques autour de l’agriculture biodynamique. Un formateur rejoignit le petit groupe de vignerons pour mettre en place des ateliers autour des préparas en biodynamie, essentiels tout au long de l’année pour assurer l’équilibre énergétique de la vigne.

Aujourd’hui, ils sont une cinquantaine de vignerons situés aux environs du Domaine de la Cabotte. Ils ont enterré près de 3000 cornes en octobre 2016, préparant ainsi 300 kg de Compost de bouse d’après Maria Thun (CBMT) pouvant couvrir jusqu’à 550 ha de vignes. Ils ont également fait le choix de se structurer sous forme associative afin de mieux organiser l’élaboration de toutes les préparations biodynamiques. C’est ainsi qu’est née Eclats de Lune. Au sein de cette association, chacun s’engage à participer à deux journées de préparation chaque année : une journée en octobre pour préparer les cornes de CBMT, le groupe étant parfois rejoint par des jardiniers amateurs et autres curieux motivés. Puis une autre journée est organisée en avril pour déterrer les cornes (dessin ci-dessous) et préparer la 501 (Silice de Corne), complémentaire de la bouse de corne.

L’association accueille également des étudiants de l’Université du Vin de Suze-la-Rousse, située à proximité du Massif d’Uchaux. C’est une belle occasion de diffuser la pratique et l’esprit de la biodynamie dans l’apprentissage viticole mais également l’opportunité d’une dégustation en plein air des vins des vignerons adhérents de l’association.

La question de la flavescence dorée

Dans le cadre de son intervention, Eric a également évoqué un sujet d’actualité pour lequel l’association souhaite être autant que possible le porte-voix des vignerons concernés : la cicadelle de la flavescence dorée, à l’origine d’une maladie qui cause, à terme, la mort du cep. En tant que vigneron en biodynamie, Eric nous a expliqué qu’il était difficile de se faire entendre sur ce sujet par les organismes viticoles en charge de la lutte contre les maladies de la vigne.

Les traitements chimiques n’étant pas une option pour les viticulteurs travaillant depuis de longues années de manière saine et respectueuse de leur environnement, il est urgent de trouver des solutions alternatives. Ces vignerons souhaitent être force de proposition afin de mettre en place un groupe de recherche pour développer des méthodes appropriées, cohérentes avec la biodynamie : le but n’étant pas l’éradication des populations de cicadelles qui transportent le phytoplasme responsable de la maladie, mais plutôt de travailler sur le renforcement des défenses naturelles de la vigne afin de préserver l’équilibre des forces de vies dans le vignoble pour lutter contre cette maladie.

D’autres initiatives de ce type naissent régulièrement en France, portées par une volonté collective d’élargir le champ des possibles dans un contexte où chacun peut se rendre compte des résultats et du chemin parcouru en biodynamie et de la nécessité de changer les méthodes de culture de la vigne. Dans un bel élan collectif, de nouveaux espaces d’expérimentations complémentaires à la biodynamie voient le jour : la géobiologie ou la bioénergie s’annoncent comme des approches énergétiques très prometteuses pour l’avenir de la vigne et pourront porter leurs fruits dans les prochaines années grâce à l’engagement et au partage, valeurs communes des viticulteurs en biodynamie.