Fin novembre. Vinsobres. La vigne tombe progressivement dans sa torpeur hivernale et les paysages entrelacés d’or et de rouge s’estompent progressivement avant les premières tailles. Malgré l’apparente sérénité dans le vignoble ce jour-là, cette année 2018 aura mis le moral vigneron à rude épreuve : après le mildiou qui s’est installé durablement dès le printemps, puis une sécheresse intense tout au long de l’été, voici venu le temps des pluies continues qui rendent inaccessibles de nombreuses parcelles. Inhabituel pour cette région plutôt réputée pour son climat favorable à la viticulture.
Je quitte l’auberge assez tôt puis file dans les collines qui surplombent Vinsobres. En empruntant les routes sauvages qui ondulent à travers le vignoble, je découvre de petites parcelles de vieilles vignes nichées au cœur des bois, éclairées par la lumière rasante du lever du soleil. La lune entière et tellement proche, semble reposée sur les apex. En marchant le long de la vigne, j’aperçois un faisan qui s’éloigne en se faufilant sous les rangs. Puis dans la parcelle de l’autre côté de la route, des biches grignotent les dernières baies en lisière des bois. Un instant apaisant.
Je reprends la route vers l’ouest du village pour y rencontrer Cédric Guillaume-Corbin au Domaine de la Péquélette : quinze hectares d’agriculture diversifiée, d’un seul tenant, aux portes des Baronnies. La ferme, orientée plein Sud, fait face au Mont Ventoux, dont on distingue furtivement la fine couche de neige qui s’y est déposée ces derniers jours. D’épais nuages se sont amassés sur sa cime, annonçant le retour imminent de la pluie. Nous profitons donc de cette parenthèse ensoleillée pour faire le tour du domaine avec Cédric qui nous accueille avec son béret vissé sur la tête, ce signe distinctif qui l’identifie jusque sur le logo du domaine. Un café rapide sous la pergola pour se réchauffer et nous partons découvrir les différentes cultures sur le domaine.
« À son retour à Vinsobres, Cédric veut travailler autrement. Mais il n’arrive alors pas encore à mettre de gestes sur cet autrement. »
Cédric a repris le domaine familial en 2004 puis l’en a sorti de la coopérative de Vinsobres en 2005. Quelques années auparavant, il était parti dans le Nord de la France avec son épouse qui y avait trouvé un job. Un besoin de changer d’air qui lui donna l’opportunité d’aller voir ailleurs. Mais très vite, il déchante : « Il m’était inconcevable de ne pas voir le ciel et le soleil durant une semaine, nous étions enfermés dans un brouillard permanent. Et les gens n’étaient pas beaucoup plus radieux ! » Retour au bercail, mais à cette époque, la conception de la viticulture qui s’offre à lui sur Vinsobres ne lui convient pas : une viticulture intensive et systématique où l’on peut prévoir les interventions à la vigne « jusqu’à sa retraite » ! Cédric veut travailler autrement. Mais il n’arrive pas encore à mettre de gestes sur cet autrement. De nature curieuse, il entretient un lien fort avec la nature et il est convaincu que la direction à prendre pour le travail à la vigne doit passer par une approche sensible de celle-ci.
Le cheminement vers la biodynamie
Cédric commence par découvrir la vie des sols grâce à son expérience en trufficulture. Après quelques saisons, il s’aperçoit que les chênes sur les mêmes parcelles ne donnent pas les mêmes récoltes : « Sur la même parcelle, quand tu plantes 10 arbres truffiers, il n’y en a qu’un qui produit des truffes ! Forcément, ça questionne !». S’en suit un long travail d’observation de la faune et de la flore aux abords des chênes. Il finit par comprendre que les sols les plus vivants accueillent un microcosme différent de ceux présents ailleurs sur une même parcelle : ils sont biologiquement plus riches, travaillés par la microflore présente, les bactéries, les verres de terres, les fourmis, etc… En résumé, ils sont plus meubles : un terreau favorable à l’apparition des truffes. Il se documente pour en savoir plus. Ses lectures croisent à plusieurs reprises la notion de « biodynamie ». Il comprend alors que ce courant agricole répond aux questions qui s’accumulent dans sa tête depuis une dizaine d’années. C’est la voie qu’il choisit pour travailler sur le domaine qui bascule alors tout entier vers l’agriculture biodynamique.
« S’il n’y avait pas eu les copains, il n’y aurait peut-être plus de vigne sur le domaine. J’aurais très certainement arrêté de produire du vin. »
La vigne a longtemps oppressé Cédric et la biodynamie a certainement apaisé cette relation compliquée à Vitis Vinifera et l’a conforté dans ses choix. Comme par exemple passer le domaine de 15 hectares de vignes à 5 hectares. Mais il y a surtout eu les copains vignerons de l’association « Éclat de Lune » *: « S’il n’y avait pas eu les copains, il n’y aurait peut-être plus de vigne sur le domaine. J’aurais très certainement arrêté de produire du vin. »
Guidé par ses intuitions et une observation permanente de la vigne, Cédric essaie aussi de travailler à la vigne sans soufre, ni cuivre. Un engagement périlleux au plus près de la nature. À la place de ces matières minérales qui ne sont pas toujours assimilées par les sols, Cédric utilise des préparations à base de plantes récoltées localement. Pour lui, la biodynamie, c’est travailler selon son ressenti en fonction des années et du climat. Se remettre en question fréquemment, ne pas appliquer de recette, être à l’écoute des besoins de la vigne. Utiliser savoir et savoir-faire à bon escient et en pleine conscience.
Un idéal de polyculture
Aujourd’hui, le Domaine de la Péquélette, c’est un écrin de biodiversité soutenu par un travail en polyculture. Cédric y suit ses intuitions : la vigne arrachée a été remplacée par des grenadiers ou plus récemment par des arbres fruitiers (abricots, pommes et poires). Il y a bien sûr toujours quelques chênes truffiers, mais aussi un troupeau de brebis au pelage bien fourni lors de notre visite : « la tonte tombait au milieu des vendages… Alors, ça attendra le printemps prochain maintenant ! ». Et bien sûr de majestueux oliviers qui produisent une huile douce, délicatement fruitée et longue en bouche. Ici, les olives sont patiemment ramassées à la main, après les premières gelées qui tardent cette année.
Cédric milite pour un retour à la diversité des récoltes, des paysages, pour le bien-être de la faune et de la flore, mais également de l’homme.
Jusqu’au gel intense et brutal de 1956 qui décima les oliveraies du sud de la France, les familles vivaient ici principalement de l’oléiculture. Suite à la destruction des oliviers, on planta de la vigne, mais avant de récolter du raisin, il se passa plusieurs années… « C’était une période de crève-misère. Travailler la terre ici, ça toujours était rude. Mais cette période après le gel fut particulièrement ingrate pour le monde paysan. ». Puis au milieu des années 60, la viticulture connut un essor important : on plantant systématiquement de la vigne, partout, de la plaine aux coteaux, tout autour de Vinsobres, jusqu’en limite d’appellation. Pour Cédric, en quête d’équilibre paysager, « il y a probablement trop de vignes aujourd’hui… ». Près de 600 hectares pour cette petite aire viticole devenue AOC en 2006. Lui, il milite pour un retour à la diversité des récoltes, des paysages pour le bien-être de la faune et de la flore, mais également de l’homme. Varier les expériences sur son domaine est pour lui enrichissant. « Éviter à tout prix le travail à la chaine. On n’est pas à l’usine. » me glisse-t-il.
À la vigne, Cédric aimerait bien planter des cépages blancs. Selon lui, les terroirs argilo-calcaire caillouteux de Vinsobres s’y prêtent plutôt bien : « Mais on se fait retoquer à chaque demande de passer les blancs en AOC… Par manque de typicité nous dit l’INAO ! Parce qu’il y a plus de typicité sur Châteauneuf peut être ? ».
Et la biodynamie en trufficulture ?
La trufficulture a amené Cédric à s’intéresser à la biodynamie, mais paradoxalement, il nous explique que celle-ci ne s’applique pas à la culture de champignons. Curieux et consciencieux, il a bien essayé d’appliquer des préparations sur ses parcelles de chênes truffiers. Mais le travail en biodynamie, qui a pour objectif d’équilibrer un environnement agricole pour éviter les maladies comme les champignons ascomycètes (oïdium et mildiou), ne peut convenir à la trufficulture : « Les champignons, c’est un truc de déséquilibrés ! ». Car il faut bien favoriser cette forme de déséquilibre dont parle Cédric pour voir Tuber Melanosporum apparaître au pied des chênes. Et en assainissant son environnement, disparaissent les chances de la voir pousser en quantité. Il s’est aussi aperçu qu’une culture sur le modèle de production agricole classique, en monoculture, avec des parcelles plantées uniquement de chênes n’est peut-être pas la plus appropriée. Les chênes truffiers, plantés comme des haies naturelles, entre les parcelles d’autres cultures, seraient plus dans leur élément. Donc producteurs de truffes. Cédric a souvent observé qu’à proximité de la forêt, les chênes qui donnent le plus se trouvent à la lisière des bois, là où les sols ont été travaillés par l’homme ou l’animal, labourés ou grattés.
La dégustation
Avant de se quitter, Cédric nous invite à venir déguster ses vins au caveau attenant à la maison familiale, celle du grand-père Émile où Cédric vit aujourd’hui.
Il ne produit que trois cuvées mais toutes avec des profils aromatiques singuliers qui illustrent bien la sensibilité du vigneron. Cédric aime les vins « sur le fruit, avec de l’élégance mais aussi de la matière ».
- Carton Rouge 2011 : Souvenir d’apéro post match. Ancien joueur de rugby « enfin, je joue toujours… en vétéran ! », Cédric a voulu cette cuvée facile à boire pour accompagner des plats simples et des ambiances festives entre copains.
- Émile 2015 : Les plus vieilles vignes du domaine, celles du grand-père qui prête son nom à cette cuvée, on jusqu’à 90 ans. Rendement de misère. 20 hectos sur les millésimes les plus généreux. Grenache, syrah, mourvèdre et une larme de Carignan. Un vin parfois « jaloux » dans ses jeunes années qui ne se lâche que trois ou quatre après la mise. Mais la patience est récompensée avec de beaux fruits légèrement confits mêlés à des saveurs délicatement épicées. Et cette fraicheur invariablement présente sur les cuvées du Domaine de la Péquélette.
- Les Muses 2017 : Seule parcelle située à l’écart du domaine, sur les collines dominant Vinsobres. De vieilles vignes de 70 ans travaillées en terrasse sur des coteaux abruptes. Ici, la syrah domine sur le grenache : fraicheur et finesse typique des syrahs septentrionales, que l’on retrouve sur les terroirs de Vinsobres et qui fournissent à la syrah ces conditions favorables à son épanouissement. D’ailleurs, cette longueur mériterait une dégustation à l’aveugle, juste pour voir… Un vin qui peut encore attendre mais qui accompagnera très bien les truffes de saison, of course !
À la cave, il y a aussi une amphore coincée entre deux cuves où Cédric expérimente ce type de vinification avec des vieux grenaches du domaine récoltés en 2017. Vinification longue et douce, il laisse faire le temps. Un paysan curieux qui travaille en harmonie avec son environnement. « La tête dans les étoiles. Les pieds sur terre. » comme le résume si bien le logo du Domaine de la Péquélette !
* Éclat de lune est une association qui promeut le développement et la pratique de l’agriculture biodynamique dans le département du Vaucluse et des départements voisins au travers d’ateliers de préparations essentielles dans l’agriculture biodynamique et de manifestations d’échanges sur les pratiques biodynamiques.
Cette visite a été organisée par l’équipe du Mouvement de l’Agriculture Bio-Dynamique (MABD) suite à l’assemblée générale de l’association et celle de Demeter fin Novembre 2018.
Domaine La Péquélette
Cedric Guillaume Corbin
Le plan de Moye
26110 VINSOBRES
Tél : 06 87 17 96 35
Site internet
Courriel : guillaumecorbin@wanadoo.fr